Le troisième plénum du Parti communiste chinois (PCC) centré sur la stratégie de développement économique s’est achevé le 21 juillet à la gloire du président Xi Jinping dans un contexte de déflation et de fortes tensions protectionnistes.

Dans la lignée des objectifs du rapport « Made in China 2025 » publié en 2015, et du congrès du PCC de 2022, le plénum réaffirme la priorité donnée au « nouveau modèle » fondé sur « le développement économique de haute qualité » ; la politique économique doit désormais s’appuyer sur l’innovation technologique, les mégadonnées (« big data ») et l’intelligence artificielle pour soutenir la croissance.

Les conséquences de ces orientations sont importantes, voire inquiétantes, pour l’équilibre économique mondial.

Destruction d’emplois à court terme Tout d’abord, l’engagement de stimuler la demande intérieure afin de rééquilibrer la balance commerciale structurellement excédentaire (823 milliards de dollars en 2023, environ 750 milliards d’euros) n’est désormais plus à l’ordre du jour. Beaucoup plus préoccupant encore est le risque de voir la Chine entraîner l’économie mondiale vers un état où les bénéfices du commerce international seraient partiellement ou totalement annulés.

Lire aussi la chronique Patrick Artus : « Il y a une défiance croissante vis-à-vis de la Chine comme partenaire commercial ou comme localisation des investissements directs » Certes, ce scénario est jugé très improbable par les économistes, qui s’attachent régulièrement à le réfuter dans la presse face à l’opinion publique préoccupée par la mondialisation. Dans l’esprit du public, en effet, les exportations associées à un niveau de salaire réel très faible seraient à l’origine de nombreuses fermetures d’usines dans les économies occidentales depuis plusieurs décennies.

Si la plupart des économistes reconnaissent l’effet de la mondialisation sur la destruction d’emplois à court terme, c’est pour mieux rappeler que le produit national est toujours plus élevé à long terme en raison de la « loi des avantages comparatifs » énoncée par l’économiste britannique David Ricardo (1772-1823), selon laquelle si chaque pays se spécialise dans la production d’un bien, il obtient des gains de productivité plus élevés qu’un pays qui ne se spécialise pas ; et si chaque pays choisit des spécialités différentes, la richesse mondiale est alors supérieure à celle produite en autarcie.

Lire aussi « Le déséquilibre béant de nos interdépendances commerciales avec la Chine constitue un risque pour la résilience de nos économies » Sous réserve de stabilité du taux de change, chaque pays jouit ainsi d’un supplément de richesses. Mais l’argumentation ne persuade guère le public si l’on en juge par la vigueur des débats sur la mondialisation.

« Contrevérité populaire » pertinente Jamais à court d’arguments, les économistes répondent que la polémique serait essentiellement due au « manque de culture économique » du public. L’explication ne convainc cependant pas tous les économistes et non des moindres. Paul Samuelson (1915-2009) partage en partie les craintes du public. Depuis son discours de réception du prix Nobel en 1970, la question de la destruction des emplois l’a préoccupé tout au long de sa carrière.

En 2004, il publie un article sous forme de bilan et de projection pour l’avenir sur les conditions dans lesquelles la « contrevérité populaire » pourrait bien s’avérer parfaitement pertinente (« Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization », Journal of Economic Perspectives, nᵒ 18/3, 2004).

Dans sa démonstration, Samuelson complète la loi des avantages comparatifs de Ricardo par celle de la « destruction créatrice » de l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) ; il compare les gains réels des consommateurs liés à la mondialisation aux pertes des producteurs. Selon Samuelson, les gains ne compensent pas nécessairement à long terme les pertes provoquées par la destruction d’une partie de la production en raison de l’innovation technologique.

Pour les besoins de sa démonstration théorique, Samuelson utilise un modèle à deux biens échangés entre deux pays, les Etats-Unis et la Chine. L’auteur évalue les gains liés au commerce en supposant que, au départ, la productivité est dix fois plus élevée pour le bien produit aux Etats-Unis, ce qui assure aux deux pays l’avantage « prévu » par la théorie de Ricardo.

Stratégie d’imitation Dans la suite de sa démonstration, l’auteur analyse l’effet de l’innovation technologique sur l’augmentation de la productivité du travail en Chine. En général, les deux pays bénéficient du supplément de richesses, même si la productivité des Etats-Unis n’a pas varié. Mais la difficulté survient lorsque la Chine connaît une innovation majeure (par imitation ou par l’effet de sa propre recherche-développement…) dans le bien importé des Etats-Unis.

Dans ce dernier cas, la Chine n’est plus incitée à importer le bien en question, et l’économie américaine enregistre une perte nette d’emplois et de revenus à long terme. L’avantage comparatif est ainsi totalement annulé par le progrès technique. Les bénéfices des Etats-Unis issus du libre-échange se sont évanouis sous le choc de l’innovation technologique en Chine.

Lire aussi la tribune Chine : « La primauté du Parti justifie tous les sacrifices, y compris économiques » Tout en soulignant le caractère très simplifié du modèle, Samuelson n’en reste pas moins préoccupé, car le cas n’est pas si particulier au regard de l’histoire économique. Il rappelle la période de contestation de l’hégémonie manufacturière de l’Angleterre victorienne par les Etats-Unis à partir de 1850, grâce notamment à une stratégie d’imitation des technologies développées en Europe.

L’économie mondiale serait-elle aujourd’hui à la veille du retour d’un tel épisode ? Les signaux d’alerte ne manquent pas ; depuis la publication en 2015 du rapport « Made in China 2025 » jusqu’à la stratégie de « développement de haute qualité » entérinée en 2024 par le plénum du PCC, tous les éléments semblent réunis pour une prochaine guerre commerciale longue et destructrice entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe.

  • Snoopy@jlai.luM
    link
    fedilink
    Français
    arrow-up
    3
    ·
    1 month ago

    Je suis une quiche en économie mais effectivement c’est ce qu’on observe avec le protectionisme et restriction de vente.

    • Klaqos@sh.itjust.worksOP
      link
      fedilink
      Français
      arrow-up
      3
      ·
      1 month ago

      Les américains ont toujours été protectionnistes, leur libéralisme supposé constitue un élément de leur soft power. Sur le sujet Paul Blairoch (historien et économiste) est plutôt intéressant.

      • Klaqos@sh.itjust.worksOP
        link
        fedilink
        Français
        arrow-up
        4
        ·
        1 month ago

        Au cas où : https://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/BAIROCH/16891

        «Le mythe qui veut que le protectionnisme ait provoqué la crise de 1929 et la dépression des années 1930 nous conduit à examiner une autre légende plus répandue et beaucoup plus importante de l’histoire à long terme des politiques commerciales. Exprimée ainsi : “Le libre-échange est la règle, le protectionnisme l’exception”, c’est presque un des dogmes de l’économie néoclassique. Combien de fois avons-nous entendu parler de l’âge d’or du libre-échange, duquel se démarque le protectionnisme des années 1920 et 1930 ? La vérité est que, dans l’histoire, le libre-échange est l’exception et le protectionnisme la règle. Les XVIe et XVIIe siècles furent l’âge d’or du mercantilisme. La possession de métaux précieux était tenue pour une condition nécessaire à la richesse et à la puissance des nations. Un pays privé d’accès aux mines d’or ou d’argent devait donc réguler son commerce extérieur pour dégager un surplus des exportations sur les importations. Qui plus est, les possessions coloniales devaient jouer le rôle de marché réservé aux exportations de la métropole. (…)

        L’expansion commerciale européenne, née de la révolution industrielle, eut des conséquences tout à fait différentes sur les politiques tarifaires du reste du monde, que l’on peut, en simplifiant un peu les choses, partager en deux sphères. Le protectionnisme l’emportait dans les pays qui devaient progressivement rejoindre le monde développé. Ce fut notamment le cas des Etats-Unis qui (…) peuvent au contraire être qualifiés de “patrie et bastion du protectionnisme moderne”. Le libéralisme devait prévaloir dans la seconde sphère, c’est-à-dire dans les pays qui forment aujourd’hui le tiers-monde (plus particulièrement les anciennes colonies) ; mais il ne s’agissait pas d’un choix délibéré et ces pays durent pratiquer un libéralisme forcé. (…)

        Le protectionnisme a toujours coïncidé dans le temps avec l’industrialisation et le développement économique, s’il n’en est pas à l’origine. Sur quatre exemples de pays pratiquant le libéralisme, trois eurent à souffrir des répercussions négatives, pour ne pas dire plus. L’exception est celle du Royaume-Uni pour la période libérale entamée en 1846, politique qui a probablement joué un rôle important dans l’accélération du développement économique qui fut la caractéristique des deux ou trois décennies qui ont suivi un désarmement tarifaire presque total. Mais il s’agit là du pays qui, grâce à sa situation de “berceau de la révolution industrielle”, disposait en 1846 d’une avance substantielle sur le reste du monde développé. Et n’oublions pas que le Royaume-Uni sortait alors d’au moins un siècle et demi de protectionnisme. »